OÙ SONT NOS FÉMINISTES ? (Éric de Verdelhan)

« Près du métro Danube (19° arrondissement), une foule suivait une femme entièrement nue. Elle avait le crâne rasé et, sur ses seins, deux croix gammées tatouées à l’encre de Chine. Sur le dos, elle avait, tatoué également, un portrait d’Hitler. La foule, déchaînée, lui jetait des pierres, la bousculait, l’insultait… »                                                                                              

(Mélinée Manouchian).

Par un temps exécrable, et bien qu’on soit dimanche, je me livrais à un travail demandé par un ami sur les villes libérées en août et septembre 1944. Certaines ont fait l’objet de rudes combats, d’autres ont été abandonnées par les Allemands, sans l’intervention des Alliés, de nos troupes ou de la Résistance locale. Mais les liesses de la Libération ont été entachées, presque partout, par des règlements de compte parfois barbares. J’ai consacré un chapitre entier de mon livre « Mythes et Légendes du Maquis » (1) à cette période sombre qu’on a appelé « l’épuration ». Un temps où, tels les ouvriers de la dernière heure, certains résistants tardifs – souvent des FTP (2) communistes – se montreront les pires épurateurs (parfois pour faire oublier un passé de « collabo » ou une fortune bâtie au marché noir). La France de la Libération, c’est donc aussi celle des crimes de l’épuration. Si certains  « épurés » étaient, sans doute, d’authentiques criminels, l’épuration – sauvage ou légale – est une honte, une tache de notre histoire. Et, dans un pays qui passe sa vie à battre sa coulpe, à avoir honte de son histoire et à faire repentance, je suis étonné que nos harpies féministes ne condamnent pas un volet sordide de cette période sombre ; celui des femmes tondues.

Pour les épurateurs, le fait de coucher avec l’occupant était sanctionné, à minima, par la tonte des cheveux. Ces femmes tondues étaient accusées de « collaboration horizontale », un acte qui n’est pas incriminé dans le Code Pénal et qui n’a donc rien d’illégal.  Certaines ont été lynchées, violées, torturées ou massacrées. Le compte de ces victimes est difficile à établir. On parle de 20 ou 30 000, peut-être plus ? Appelées « filles de honte », elles ont été tondues entre juin et décembre 1944 et à la fin de l’année 1945. Ces femmes, en moyenne âgées de 29 ans, le plus souvent célibataires, auraient entretenu des relations amoureuses avec des Allemands.

Les séances de tonte ont eu lieu dans toute la France, dans les grandes villes comme en zone rurale. La mise en scène, spectaculaire et sordide, était à chaque fois la même. Un « comité de Résistance » venait chercher la présumée coupable sans aucune forme de jugement officiel. Dans une ambiance de fête populaire, elle  était, seule ou avec d’autres accusées, exhibée dans un lieu central, comme le perron de la mairie ou le monument aux morts. Là, elle était tondue par un membre de la Résistance ou un coiffeur réquisitionné pour l’occasion. La supposée traîtresse à la patrie était ensuite promenée sous les quolibets de la foule. En plus d’être rasées, ces femmes furent parfois violentées, déshabillées ou encore marquées de croix gammées.
Au nom de l’épuration, on a martyrisé et tondu des femmes amoureuses (celles qui refusèrent de quitter leur concubin ou leur mari allemand), puis celles qui, après tout, n’ont fait que leur métier (entraineuses, prostituées).

Michel Audiard, le dialoguiste des « tontons  flingueurs », d’ « un taxi pour Tobrouk » et de bien autres chefs-d’œuvre d’humour corrosif, est moins connu comme romancier. Il a pourtant écrit un roman  dont le pessimisme rappelle le « Voyage au bout de la nuit » de Louis-Ferdinand  Céline. Il y parle avec nostalgie de Myrette, la petite putain dont il était amoureux pendant la guerre :

« Et la barbarie hitlérienne? M’opposera-t-on. On me jette toujours d’autres martyrs à la tête quand je raconte Myrette, comme si… Suzanne surgit dans la chope et annonce dès la porte: « Les fifis(FFI) sont en train d’avoiner Myrette » …édentée, disloquée, le corps bleu, éclaté par endroits, le regard vitrifié dans une expression de cheval fou, Myrette s’offrait aux mouches, abandonnée sur les sacs de sable d’une barricade, au carrefour de la Gaieté… Il n’y avait déjà plus personne autour, comme sur les places de village quand le cirque est parti… On a eu les détails petit à petit, par des témoins encore frémissants dont un certain  « colonel » Palikar… chef du joyeux commando. Un ancien de la guerre d’Espagne. Sans s’annoncer, selon la mode du temps, ils avaient enfoncé la porte et surpris Myrette…

D’après les gens, on l’entendait hurler de la rue tandis qu’ils lui cassaient les dents. « À coup de bites » devait préciser par la suite le plaisant Palikar. À coups de crosse plus vraisemblablement. Elle était sûrement déjà très abîmée quand l’équipe lui est passée hiérarchiquement sur le ventre, colonel Palikar en premier… Théâtre de joutes viriles, la chambre inspira sans doute d’autres jeux : Myrette fut certainement très martyrisée puisqu’elle avait les bras et les jambes brisés lorsqu’ils la tirèrent par les cheveux sur la petite place et l’attachèrent au tronc d’un acacia. C’est là qu’ils la tuèrent. Oh, sans méchanceté, à la rigolade, comme on dégringole les boîtes de conserve à la foire, à ceci près : au lieu des boules de son, ils balançaient des pavés… Quand ils l’ont détachée elle était morte depuis longtemps. Après l’avoir jetée sur un tas de sable, ils ont pissé dessus… puis s’en sont allés, comme on dit, arroser ça … » (3).
Des témoignages comme celui-ci, il y en a des centaines !

À  l’époque les journaux relatent les diverses formes d’épuration mais sans les condamner. Ils leur trouvent même des justifications, un peu comme les torchons de gauche qui nous expliquent que Charly Kirk  a finalement récolté ce qu’il a semé.  « La France nouvelle », par exemple,  écrira en octobre 1944 : « Tant que des ambassadeurs pétainistes représenteront la France à l’étranger nous nous permettrons de considérer comme une distraction bien frivole le châtiment de la « tonte » infligée à quelques femmes qui, sous toutes les occupations, ne demandent qu’à être occupées. »

Je vous laisse apprécier l’humour (ou le cynisme infect ?) de ce canard !

Certaines de ces séances punitives ont été filmées, notamment par le « Comité de Libération du Cinéma Français » gangréné par les communistes. Mais, elles sont absentes des films sur la fin de l’Occupation. L’histoire est écrite par les vainqueurs,  et il serait malvenu d’entacher la légende du « parti des 75 000 fusillés » (4). Peut-être que nos féministes n’en ont jamais entendu parler ?  

Après-guerre, des femmes tondues, battues, violées ont tenté des actions en justice mais leur action a été disqualifiée, elles n’étaient pas considérées comme des victimes.

À la Libération, le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) rédigea une série d’ordonnances permettant d’épurer légalement la société française. Ces textes concernaient toute la population (ordonnances du 26 juin 1944, du 26 août 1944…), ou des catégories spécifiques (ordonnances du 18 janvier 1945, du 5 mai 1945…). Ces textes posent un problème, en droit, sur la rétroactivité de leur action. La non-rétroactivité est un principe fondamental de l’égalité d’une loi.

L’ordonnance du 26 août 1944 complétait la liste des « crimes » relevant de la collaboration et elle instaurait  l’« indignité nationale ». Lorsque l’accusé était frappé d’indignité nationale il était condamné à une peine de « dégradation nationale ». Un mort civile légale !

Après la guerre, soucieux de réduire la fracture entre les Français, le gouvernement a fait voter trois amnisties pour les épurés, en 1947, en 1951 et en 1953.

Si  vous voulez en savoir davantage sur cette époque sombre, lisez « Les FTP, nouvelle histoire d’une Résistance » de Franck Liaigre (5) et « L’épuration » de Maurice Bardèche (6).

 

Éric de Verdelhan

14 septembre 2025

 

1)- « Mythes et Légendes du Maquis » publié aux éditions Muller en 2019.

2)- FTP : Franc-Tireur Partisan. Des Maquis  majoritairement communistes.

3)- « La nuit, le jour et toutes les autres nuits » de Michel Audiard ; Denoël ; 1978.

4)- Le chiffre retenu par les historiens est de 4 000 et tous n’étaient pas communistes.

5)-« Les FTP, nouvelle histoire d’une Résistance » de Franck Liaigre ; Perrin ; 2016.

6)-« L’épuration » de Maurice Bardèche; Castille ; 2001.

                                                                                                                                       

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